Certains
noms semblent prédestinés à briller plus que d’autres. Certains
ont même tant de noblesse qu’ils semblent propulser de facto leur
propriétaire sous les feux de la rampe. Artistes, célébrités,
hommes politiques le savent pertinemment : la signature porte déjà
une belle “autor-ité”.
De mon
côté, rien de tout cela. Mon nom passe-partout me prédestinait
surtout à être comme les autres. De mon enfance, je retiens les
heures immobiles, couchée dans les allées sablonneuses d’un
potager résidentiel, ou encore sur le canapé crapaud du salon, avec
un livre de la bibliothèque verte. J’étais sage comme une
image ce qui me valait les félicitations familiales. Je lisais en
liberté ce qui me tombait dans les mains, y compris quelques
Reader’s Digest qu’on aurait probablement interdits si on s’était
penché sur leur propos. Je m’en rendais suffisamment compte pour
les garder secrets. La bibliothèque (plus exactement le Cdi) du
collège m’a fait monter d’un cran. Classiques et moins
classiques : Pearl Buck et Bernard Clavel, Mérimée et Balzac,
contes de belles régions de France, livres recommandés par les
Instructions officielles, coups de coeur des professeurs : boulimique
littéraire, j’occultais invariablement le dénouement des
intrigues, peut-être pour maintenir intact le plaisir de relire.
J’étais un modèle facile. Rebelote pour les louanges collégiales.
Au lycée, je me suis retrouvée comme en suspens. Toujours un livre
en poche, je le feuilletais à tout propos : il me servait
d’éventail, de bouclier, d’étendard, de manifeste ou de refuge,
selon les cas. Solitaire romantique, j'ai plané au-dessus de siècles
révolus, ne trouvant pas grand attrait à vivre mon présent. J'ai
fui dans les histoires, de préférence poétiques, antiques et
tragiques : Rimbaud, Sophocle, Virgile et Homère dans un désordre
gourmand. J’ai grandi dans cette métaphore de la réalité. J’ai
vécu dans les livres, pendant que le destin suivait son cours, avec
des hauts et des bas, occasions d’écritures inachevées, perdues
ou offertes sitôt que composées.
Jusqu’au
jour où, par hasard, le mouvement s’est inversé. Sensible à la
tessiture discursive, j’ai commencé à noter les particularités
stylistiques individuelles. En un mot, je cherchais dans les mots
entendus des découvertes phonétiques, de surprenantes alchimies
verbales, de nouveaux alliages grammaticaux, autant d’authentiques
trésors du français, souvent négligés par manque d’attention.
L’effet a été immédiat : les gens se sont mis à me raconter
leur(s) histoire(s), dans la rue, dans le métro, devant un café ou
au débotté. Nous avons ri, nous avons pleuré : j’étais un
miroir d’états d’âme. Voilà comment j'ai trouvé ma voix, ou
plutôt ma voie. Un pseudonyme me serait désormais inutile. J’écris
au nom des autres, avec les mots qu’ils me donnent, dans une
lecture expressive de leur parcours de vie uniques et témoins
d’humanité.
Comme
quoi, la frontière entre auteurs et lecteurs n’est pas forcément
là où on la croit.
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